Abords de la violence envers les personnes elles-mêmes : Dr Edouard GODIER Psychiatre - EPSM: Dispositif 3114
Quels types de violences auto-infligées (suicides, conduites, tentatives de suicides) observez vous le plus fréquemment chez personnes que vous suivez ?
Il est nécessaire de différencier les tentatives de suicide, passages l’acte n’entrainant pas de décès, et les décès par suicide. En 2023, il était rapporté 241 passages aux urgences en Guadeloupe pour tentatives de suicide. Il faut noter qu’une part importante de ces passages aux urgences concernaient des jeunes filles de moins de 18 ans. Le taux de décès par suicide en 2021 en Guadeloupe était de 12 décès pour 100 000 habitants, par rapport à une moyenne nationale de 13 décès pour 100 00 habitant. Avec une part importante, en Guadeloupe comme au niveau national, d’hommes de plus de 65 ans (Bulletin Santé Publique France, mai 2025). Ces données vont à l’inverse de nombreuses croyances concernant les conduites suicidaires. Par ailleurs, il est important de rappeler le nombre décès par suicide baisse globalement depuis plus de 20 ans.
• Quels sont les principaux facteurs/ mécanismes qui favorisent ces comportements violents (tentatives de suicide, auto-mutilation…) envers elles-mêmes ?
Il existe de nombreuses idées reçues sur les conduites suicidaires. Par exemple, les comportements suicidaires sont fréquemment décrits comme impulsifs, voir imprévisibles. La réalité est bien différente. Les conduites suicidaires ne concernent pas exclusivement les personnes pouvant présenter des comportements « violents » ou impulsifs. Il n’existe pas, en effet, de cause unique au suicide. Il s’agit d’une accumulation de facteurs qui s’inscrivent dans un processus dynamique et réversible, qui est nommée crise suicidaire. Une personne qui présente des idées suicidaires ne veut pas mourir, mais souhaiterait arrêter une souffrance qu’elle juge insupportable, insurmontable. Durant le processus de crise suicidaire, la personne peut avoir l’impression qu’une seule solution est alors possible. Cependant, face à ces pensées, elle manifeste également une ambivalence constante et durable, elle reste en recherche de solutions pour soulager sa souffrance. La crise est donc réversible. Si une aide jugée pertinente est apportée à cette personne, alors elle saisira cette opportunité.
Les scarifications sont également des comportements de gestion des émotions et de la souffrance psychologique, qui se différencient des conduites suicidaires par l’absence de pensées concernant la mort.
• Que vous disent ces personnes sur elles-mêmes, sur leur vécu ? Comment expriment-elles leur souffrance ou leur mal-être ?
Il est fréquemment rapporté par ces personnes un sentiment de prise au piège dans la souffrance, le poids des tabous et la difficulté d’aborder la souffrance psychologique avec leurs proches, de crainte d’être jugées. Cependant, lorsqu’elles trouvent une oreille attentive, elles rapportent le soulagement de pouvoir parler et la possibilité de pouvoir envisager à nouveau d’autres perspectives.
• Quelles stratégies/dispositifs/programmes/actions vous paraissent les plus efficaces pour prévenir ou limiter ces phénomènes
Il existe plusieurs dispositifs spécifiques de prévention du suicide en Guadeloupe. Le 3114 est le numéro national de prévention du suicide, il s’agit d’un numéro gratuit, confidentiel, disponible 24h/24h et 7j/7j. Au bout du fils se trouve des professionnels, infirmiers ou psychologues, formés à la prévention du suicide qui ont une écoute bienveillante, sans jugement. Ce numéro s’adresse aux personnes en souffrance, mais également à leurs proches, aux professionnels de santé non spécialistes en santé mentale, et également aux personnes qui ont perdu un proche par suicide.
VigilanS Guadeloupe et Iles du Nord est un dispositif de maintien du lien, par téléphone, avec les personnes ayant fait une tentative de suicide. Ces personnes sont incluses dans le dispositif avec leur accord à la suite du passage dans un lieu de soins. Le dispositif VigilanS a fait la preuve de son efficacité avec une réduction de près de 40% du risque de réitération suicidaire chez les personnes suivie (Santé Publique France, septembre 2023).
Quel message souhaiteriez-vous adresser aux familles, aux institutions concernant la compréhension du suicide ?
Il est nécessaire de faire évoluer le regard sur la prévention du suicide, de lever le stigma, de démystifier les idées reçues qui persistent, pour permettre de mieux prendre en compte la souffrance des personnes concernées. Le suicide n’est pas une fatalité, il est possible de le prévenir et de venir en aide à ceux ont des idées suicidaires.